« Cherche photographe amateur passionné pour photographier mon mariage pour 200 € et toute ma considération »
« Cherche photographe avec reflex numérique et sachant s’en servir pour photographier mon mariage. Nous offrons le repas. Vous n’avez pas de post-traitement à faire, on se charge de tout, il suffit de nous transmettre votre carte mémoire. Nous vous ferons ensuite de la publicité ! »
(NDLR : Le texte précis de ces deux annonces est fictif –
La réalité est parfois pire !)
Vous connaissez ce genre d’annonces, fréquemment publiées sur des sites comme Le bon Coin, et/ou sur les réseaux sociaux.
Elles vont de pair, bien sûr, avec les annonces faites par les amateurs déterminés à occuper leurs samedis, et proposant pour quelques dizaines d’euros des prestations « dignes d’un professionnel », vantant une expérience importante, et produisant souvent un « book » (parfois alimenté d’ailleurs de photos dont ils ne sont pas les auteurs).
Bien sûr, toutes les déclinaisons sont imaginables, tant pour les mariages que pour d’autres types de prestations de photographie dite « sociale » (familles, nouveaux nés, communions, enterrements de vie de jeune fille/de garçon, etc.).
Ça énerve ! Ça suscite des discussions sans fin et des protestations très légitimes des photographes professionnels, légalement établis… mais comment combattre ce phénomène ?
Je partirai, dans cet article, du principe que ce n’est pas à vous à faire des dénonciations à l’URSSAF, mais par contre, que vous souhaitez disposer d’arguments pour mettre les protagonistes (les mariés à l’affût du « bon plan » et les « photographes » ) devant leurs responsabilités.
Quels arguments juridiques pouvez-vous invoquer pour tenter de faire réfléchir tout ce petit monde ? Je n’envisage pas ici les « fauxtographes » en matière de photos avec modèle, et reste donc volontairement sur le terrain des prestations à destination des particuliers (ceux-ci feront peut-être l’objet d’un prochain article).
J’évoquerai les arguments dans l’ordre le plus logique, le premier ayant aussi des incidences sur les suivants.
La lutte contre le travail dissimulé
Le photographe qui répondrait à une telle annonce et accepterait de se faire rémunérer sans avoir le droit de proposer de telles prestations, c’est-à-dire sans être valablement inscrit à la Chambre de métiers et à l’Urssaf, est susceptible de poursuites au titre du travail dissimulé. Un livre entier du Code du travail est en effet consacré à la lutte contre le travail illégal, qui concerne toute personne qui « soit n’a pas demandé son immatriculation à la chambre de métiers, soit n’est pas inscrite à l’URSSAF » (Art. L8221-3 et suivants du Code du travail).
En matière de sanction, le même Code du travail prévoit des peines de prison ET d’amendes :
Aux amendes pénales (3 ans d’emprisonnement et 45.000 € d’amende !) s’ajouteront bien sûr les cotisations sociales éludées, et des pénalités sur ces montants-là.
Réponse possible du photographe aux futurs mariés en quête d’économies: « Ne vous inquiétez pas, je suis semi-professionnel, regardez mon équipement haut de gamme »
Au contraire ! Inquiétez-vous ! Les « semi-professionnels » ça n’existe pas :
. Soit le photographe a un numéro Siret ET est inscrit comme artisan à la Chambre de métier, et il est alors professionnel.
. Soit il ne l’est pas.
Il n’y a pas de demi-mesure.
Et le matériel, précisément, peut également se retourner contre lui. Il existe en effet dans le Code de la sécurité sociale une disposition qui permet, précisément, aux inspecteurs de l’URSSAF de présumer que votre intervention est réalisée à titre onéreux si, précisément, votre matériel est manifestement de qualité professionnelle !
Parader en dégainant un ou plusieurs boîtiers pros très onéreux, ainsi que des focales à f/2,8 plein le sac risque bien de se retourner rapidement contre vous si vous prétendez invoquer qu’il s’agit juste d’amis à qui vous rendez service… ou de lointains cousins très sympathiques à qui vous souhaitez faire plaisir.
Réponse possible des futurs mariés : « Peu importe, ce n’est pas à nous à vérifier si celui qui se présente comme photographe a ou non le droit de répondre à notre annonce ».
Rectification ! Dans la mesure, tout d’abord, où vous demandez clairement (dans certains cas) un photographe « au black » ou « un amateur talentueux et bien équipé en matériel », l’intention est parfaitement claire : faire des économies en faisant appel à quelqu’un qui n’a pas, de son côté, de charges sociales à payer et d’entreprise à faire tourner.
En outre, même en admettant que vous laissiez planer une certaine ambiguïté et qu’ensuite, en cas de difficulté, vous jouiez la stupéfaction, la présomption relative au matériel vous obligera également, en tant que « client », à démontrer que l’intervention se fait à titre gratuit.
« …. le fait de recourir…… » : le 3ème alinéa de cet article concerne directement les « clients » : le fait de recourir sciemment, directement ou par personne interposée, au service de « l’amateur bien équipé en matériel » est tout aussi interdit que l’activité illicite elle-même !
Et les peines sont les mêmes….
Les économies sur le poste « photographie » de votre mariage pourraient donc rapidement être réinvesties dans le poste « Amendes et condamnations ». Question de priorité, sans aucun doute !
Ah oui… précision avant de passer à l’argument suivant : il y a de plus en plus de contrôles de l’URSSAF devant les mairies et églises les jours de mariage ! Car il n’est pas indispensable qu’il y ait eu une dénonciation pour qu’un contrôle soit effectué. Les inspecteurs de l’Urssaf savent également très bien où aller. Quand ce ne sont pas les inspecteurs de l’Administration fiscale qui font simplement quelques recherches sur Internet : là-même où ces « apprentis artisans » vont démarcher leur clientèle.
Les assurances
« Tante Henriette, reculez d’un pas ou deux pour la photo de groupe ! »
Et Tante Henriette dévale l’escalier auquel elle tournait le dos, et se brise le col du fémur.
Les futurs mariés me répondront que cela peut arriver aussi à un professionnel.
OUI MAIS : le professionnel est assuré. Les frais de santé et d’incapacité de Tante Henriette seront pris en charge.
Que ferez-vous lorsque votre « amateur doué et bien équipé en matériel » sera dans l’incapacité totale d’assumer les conséquences de l’accident ?
Il y a fort à parier que l’ambiance pendant les réunions de famille (et le moral/la santé de Tante Henriette) prendront un coup dans l’aile.
L’exemple est bien entendu transposable à l’accident de studio sur un nouveau né à cause d’un éclairage qui tomberait sur le magnifique panier d’osier où vous avez posé le nourrisson, pour offrir à vos « clients » une photo « façon Anne Geddes ».
Le droit à l’image
Un photographe professionnel est contraint de s’informer sur les limites de l’utilisation des photographies à des fins de promotion. Pour cela, il établit généralement un contrat qu’il fait signer aux mariés, mais qui n’engage… que les mariés.
Ce contrat ne permet pas au photographe d’utiliser les photos des invités, sans l’accord de ces derniers. Leur droit à l’image est un droit personnel, et les invités sont seuls à pouvoir autoriser l’utilisation de leur image.
Et quand, pour trouver encore d’autres pseudos-clients, votre faux-artisan aura diffusé les photos de tous vos parents et invités, à qui vous plaindrez-vous ? Le photographe pourrait en effet être assigné sur base de l’article 9 du Code civil (droit à l’image), mais ça implique une procédure en justice, lancée par vos amis et parents qui pourraient bien vous demander ce qui vous a pris d’engager un photographe aussi peu scrupuleux.
Les risques d’arnaques
Il existe une « mode » chez certains photographes amateurs : conclure une prestation pour un mariage (fausse, bien sûr, puisque les photographes ne sont pas légalement en droit de les proposer), puis disparaître dans la nature, avant ou après avoir pris les photos. Des groupes de victimes se constituent à ce sujet sur les réseaux sociaux.
Réponse possible des futurs mariés : « Dans ce cas je l’assignerai en justice et j’invoquerai une escroquerie et/ou une inexécution du contrat qui nous lie ».
OK
Reconstitution :
Les mariés sans souvenirs de leur journée : « Monsieur le Juge, je viens aujourd’hui me plaindre. J’ai fait appel à ce Monsieur/cette dame qui me disait pouvoir photographier mon mariage pour pas cher. Mais je n’ai jamais reçu les photos, il a disparu avec l’acompte (avant ou après le mariage). »
Le juge : « Fort bien, et donc si j’en crois la façon dont vous vous êtes rencontrés, vous avez-vous-même demandé un non-professionnel. Asseyez-vous, et lisons ensemble le Code du travail… »
Sans parler bien sûr du fait que vous n’aurez, au final, aucune photo de votre mariage… mais sur ce dernier point, ce n’est au moins pas une infraction.
Du côté du professionnel, une inexécution du contrat aurait en outre des conséquences importantes, ce qui le découragerait de vouloir tenter ce genre d’aventure. En pratique, les cas d’arnaque concernant des professionnels existent, mais sont bien sûr beaucoup plus rares.
* * *
Et si, ainsi informé(s), vous réfléchissiez à deux fois ?
Joëlle Verbrugge